Réflexions Anishinaabe Nibi (Eau) Rassemblement 2018

Nous avons demandé à  trois assistants de recherche à Décoloniser l’Eau de partager leurs expériences sur le Rassemblement Anishinaabe Nibi.

Gauche à droite: Adèle Therias, Teddy Eyster, Myia Antone, Jacquie Tourand

Jacquie Tourand

La route entre l’aéroport de Winnipeg et le Rassemblement fut ma première impression de Manitoba. Le paysage était tellement différent de la côte Ouest : les arbres étaient d’un vert différent et il n’y avait pas d’humidité dans l’air. Sans les montagnes pour me bercer et me protéger, je me suis sentie trop exposée. Mais le ciel était infini et ce paysage avait sa beauté propre, une beauté à couper souffle.

Le jour avant le début du Rassemblement, j’ai aidé à installer la loge de l’Enseignement. Peter et sa fille menaient les opérations. Ses enfants m’ont rappelé mes propres nièces et neveux chez moi et cela m’a fait penser à quel point nos vies sont véritablement fondées sur les relations que l’on porte les uns aux autres. L’installation de la loge était un travail très physique et il faisait chaud et sec. C’était un véritable cadeau que de boire l’eau fraiche apportée par plusieurs des femmes. Mon moment préféré de cet effort fut lorsque tout le monde a soulevé ensemble la bâche par-dessus la structure. C’était un sentiment formidable que de se sentir faire partie d’un effort plus grand que soi,  de sentir que nous travaillions tous vers un objectif commun.

Pendant le Rassemblement, il y a eu de multiples cérémonies. C’était très fort émotionnellement que d’écouter les gens partager leurs histoires. Il ne m’appartient pas de les divulguer, mais les enseignements que j’en ai tirés resteront en moi pour longtemps. En particulier pendant le Cercle des Femmes, c’était tellement fort d’entendre ces femmes de différents horizons partager aussi librement et ouvertement leurs succès et, peut-être plus important encore, leurs combats. Je voudrais être aussi forte et vulnérable que ces femmes et être ainsi pour d’autres femmes.

Alors que le Rassemblement touchait à sa fin, je me suis rendue avec un groupe aux pétroformes (à l’origine une tradition autochtone, il s’agit de formes et motifs crées par l’Homme en alignant de large roches sur le terrain ouvert) non loin de là. Je marchais avec une aînée de Manitoba et nous avons partagé à quel point il était incroyable que nous soyons là – le résultat de générations de vies vécues dont on ne saura jamais rien. Ça m’a vraiment frappée, en observant les pétroformes, à quel point nos actions d’aujourd’hui se répercutent dans le futur, au-delà de ce que l’on peut véritablement comprendre ou imaginer. On a partagé nos histoires, sur nos vies et nos familles, et un moment intense ensemble lorsque nous avons évoqué les difficultés que nous avons rencontrées. Nous nous sommes serrées dans les bras et nous avons pleuré ensemble. A cet instant, je l’aimais. On a échangé nos contacts et je compte lui rendre visite.

Avant le Rassemblement, je n’avais jamais réellement considéré le rôle de l’eau dans ma vie. Le Rassemblement Anishinaabe Nibi Eau a vraiment remis en question la façon dont j’interagis avec l’eau. Du thé que je bois, aux douches que je prends, jusqu’à l’eau qui nourrit les arbres, les plantes et les animaux autour de moi que j’aime tant. Je me suis rendu compte à quel point l’eau a toujours été là pour moi dans ma vie. Quand j’étais petite fille, j’ai été agressée sexuellement dans une piscine et j’ai développé une peur de l’eau. Cependant, j’ai trouvé du réconfort dans l’acte du bain et la façon et la façon dont l’eau peut rincer toute la négativité, la honte, et les sentiments qui sont restés bloqués sous ma peau et mes cheveux. Même quand j’avais peur ou que j’étais en colère contre l’eau, l’eau était là pour moi. Elle m’a aimée, quand bien même.

Pour moi, le Rassemblement était un temps d’écoute, d’apprentissage et de réflexion. Je suis reconnaissante pour cette expérience et je suis repartie avec un espoir renouvelé. Parmi les apprentissages que j’emporte avec moi : l’importance de partager le savoir, en particulier le savoir culturel et la langue, l’importance d’aller à la rencontre de l’autre, de partager nos combats ensemble sans être embarrassé ou se sentir honteux d’avoir des sensibilités. Et puis surtout, à quel point l’eau prend soin de nous et à quel point il est de notre responsabilité de prendre soin d’elle en retour.

 

Myia Antone

 

 

 

 

 

 

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Le retour du Rassemblement Anishinaabe Nibi 2018 m’a donné beaucoup à réfléchir. Mon cœur et mon esprit sont remplis des enseignements que j’ai reçus et des nouveaux amis rencontrés. Il s’agissait de ma première visite au Manitoba, on a passé six jours sur la terre et l’eau du Traité numéro 3 et, j’ai senti dès l‘atterrissage la différence avec la côte Ouest. La terre porte des histoires et une mémoire différente.

Le premier jour se déroula au sein d’un plus petit comité, afin de tout mettre en place et de se préparer pour le Rassemblement. Nous portions nos jupes cérémoniales et un groupe de jeunes s’affairaient à monter des échelles et à attacher des piquets ensemble afin d’aider à préparer la loge Midewiwin (Enseignement). Après ça, chaque jour consistait en une succession de chansons et d’enseignements en l’honneur de l’eau. Le site du Rassemblement était magnifique mais un espace prend sa forme de l’énergie des gens qui s’y rassemblent. C’est quand tout le monde est arrivé que l’espace a été magnifié. Nous commencions chaque jour de la meilleure façon qui soit en nous rassemblant en cérémonie. La loge a cultivé les relations humaines et a créé une véritable communauté.

Un jour, pendant un cercle de soutien de femmes, un orage a éclaté et une pluie diluvienne s’est abattue. La foudre martelait nos corps. Le chaos a ensuivi alors que tout le monde s’est dispersé à la recherche d’un refuge. Je suis tombée sur un Ancien qui venait de trouver un abri pour placer ses offrandes aux oiseaux tonnerre. Elle m’a rappelé d’être reconnaissante pour les bienfaits apportés par ces oiseaux ainsi que pour la force et le pouvoir de Mère Nature. Il avait fait très sec à Manitoba et tout le monde était soulagé par l’arrivée de l’eau. Alors que nous nous empressions de retourner vers nos cabines afin de rester au sec, je me suis sentie nostalgique de mon chez moi. La pluie chaude me parut comme une étreinte de mes ancêtres, me rappelant mes racines sur la côte Ouest et me rappelant que chaque être vivant sur cette terre mérite de l’eau. Nous avons tous besoin de cette eau pour creuser nos racines plus profondément encore, pour grandir et nous épanouir chaque année.

Je suis reconnaissante pour cette opportunité qui m’a été donnée de croiser le chemin d’individus qui parlent à mon cœur et nourrissent mon être. Je suis reconnaissante qu’il y a des espaces comme celui  de ce Rassemblement qui célèbrent les protecteurs de l’eau et élèvent la communauté pour en faire un espace de résistance et de résurgence. De la façon la plus douce qui soit, j’ai ressenti la présence de mes ancêtres, ainsi que la présence des ancêtres de cette terre et de ces eaux se joindre à nous en cérémonie.

J’ai quitté Manitoba en me demandant quelle serait ma responsabilité en tant que témoin de ces histoires qui m’ont été confiées, et en me demandant comment mes actions reflèteront ces histoires. Je suis rentrée chez moi l’esprit et le corps nourris. Je me sens plus forte pour continuer mon combat pour protéger mes terres et eaux traditionnelles pour mes enfants et petits-enfants.

Je veux prendre un moment et lever mes mains avec beaucoup d’amour et de respect pour mes relations qui ont formé cet espace tellement important et qui m’ont offert cette opportunité d’y contribuer.

Je pense constamment aux mots de l’Ancien Peter Atkinson : « l’eau ne cessera jamais de couler, lorsqu’on la porte ». Cela souligne notre responsabilité en tant que protecteur de l’eau de soutenir l’eau, parce-que l’eau est synonyme de vie. Nous sommes ainsi rappelés que la Création est dynamique. Elle continue, bien après nous. Mais cela est possible seulement si nous la protégeons. C’est tellement important car, lorsqu’on prend soin de Mère Nature, Mère Nature prend soin de nous.

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Adèle Therias

Rassemblement Anishinaabe Nibi Eau : Témoigner de la Résilience

En tant qu’assistante de recherche pour le projet Décoloniser l’Eau, j’ai eu la chance d’assister au Rassemblement Anishinaabe autour de l’eau ce Mai dernier. Ayant reçu une éducation résolument urbaine et globale, j’ai été touchée de rencontrer des gens et écouter des histoires ancrées dans des relations véritables à la terre et tout un chacun. J’ai été immergée dans une autre culture et je suis reconnaissante d’avoir pris part aux cérémonies Anishinaabe et d’avoir appris certains principes des lois Anishinaabes. Étant descendante de colons Européens, j’ai eu l’impression de sentir mes ancêtres s’incliner alors que je témoignais d’une puissante résilience Autochtone face au passé et au présent colonial du Canada. Puisque mes recherches en dehors du projet Décoloniser l’Eau portent sur la résilience communautaire, ce fut enrichissant d’observer des exemples du formidable travail en cours au sein des communautés Autochtones. Lorsque nous sommes revenus du voyage, j’ai lutté  contre la surcharge sensorielle soudaine et le changement de rythme de la vie citadine, mais je m’efforce à porter mon apprentissage en moi et à l’appliquer dans mon travail à l’avenir.

Le Rassemblement m’a rappelé une réunion familiale pendant mon enfance : ce fut une réunion   multi-générationnelle, où on a partagé de la bonne nourriture et, bien que certaines personnes ne se connaissaient pas, tout le monde appartenait. J’ai été frappée par la priorité et le respect envers les Anciens, que l’on écoutait attentivement et auxquels on servait la nourriture en premier. Pendant la cérémonie, plusieurs nourrissons et enfants rampaient et se promenaient, toujours curieux et encouragés dans leur exploration. Il était évident que chacun avait une responsabilité au sein du Rassemblement, qu’il s’agisse de construire la loge cérémoniale, de garder un œil sur le feu pendant la nuit, de mener les formations ou de servir la nourriture. Les hommes et les femmes étaient célébrés pour leurs rôles, et cela m’a évoqué à quel point des intentions positives et des responsabilités partagées peuvent créer une communauté saine, qu’il s’agisse d’une famille ou d’un village.

Anishinabee Nibi a rassemblé des individus de différents horizons, autochtones et non-autochtones, à différents stades d’apprentissage sur leur culture et leur identité. On a partagé un espace, des mots et des expériences sacrées qui m’ont aidée à mieux comprendre comment devenir une alliée respectueuse. J’ai découvert la force qui peut provenir du spirituel, j’ai découvert l’appartenance qui est cultivée à travers la cérémonie, et le combat qui se déroule à chaque fois que quelqu’un se reconnecte avec sa langue. J’ai découvert des formes de résurgence qui m’ont surprise et m’ont laissée admirative: Kacey Adams nous a appris à faire des bols avec l’argile collectée du lit de la rivière, et comment conduire une cérémonie de cuisson. Elle a expliqué que la tradition de l’argile a été perdue à travers les générations passées mais que celle-ci avait été retracée et recrée avec l’aide d’archives et d’expérimentations archéologiques. J’ai découvert le pouvoir de la résurgence qui est ancré dans l’amour, et j‘ai appris un profond respect pour la terre et l’eau.

Le Rassemblement m’a offert une nouvelle perspective sur la connaissance. Fred a expliqué que le savoir est intérieur tandis que l’apprentissage suppose simplement gagner en compréhension sur ce que l’on sait déjà. Cette analyse met en avant l’influence de ceux qui sont venus avant nous sur ce que l’on expérimente aujourd’hui, ainsi le processus de partage du savoir devient aussi important que le savoir lui-même. Par conséquent, j’ai commencé à faire appel aux histoires de mes propres ancêtres afin de mieux comprendre l’histoire et l’héritage de ma famille. J’ai aussi appris beaucoup sur le savoir porté par chaque goutte d’eau, et par l’eau qui compose la majorité de notre corps. Le dernier jour du Rassemblement, Laura a appris à la jeunesse une chanson à porter en nous pour l’avenir. Elle a souligné l’importance de véritablement connaitre les choses, au lieu de simplement les écrire et les oublier. Eh bien, je n’oublierais jamais l’expérience d’avoir été assise à ses côtés, répétant cette chanson. La répétant jusqu’à ce que les mots soient inscrits dans nos esprits. La répétant jusqu’à ce que nos cœurs adaptent leurs battements aux rythmes des tambours.