La Protection des Eaux Autochtones découle de l’auto-détermination: comprendre les “Standards Tribaux sur la Qualité de l’Eau” et le “Traitement Étatique”

Par Sibyl Diver

AbrégéPour les communautés autochtones, la protection des terres et eaux traditionnelles est d’une importance absolue. Aux États-Unis, des chercheurs ont documenté le délaissement malheureux de la qualité de l’eau sur les terres tribales. Les réglementations “Traitement Étatique” (plus connu sous l’acronyme TSA « Treatment as a State ») adoptées à travers les amendements de 1987 du Clean Water Act, ainsi que les programmes de “Standards Tribaux sur la Qualité de l’Eau” (plus connu sous l’acronyme WQS « Tribal Water Quality Standards » ) sont supposés répondre à ces problèmes. Il est important de noter que les WQS au niveau tribal sont parfois plus exigeants que les standards des États voisins et peuvent avoir une réelle influence sur les niveaux de pollution en amont en provenance d’utilisateurs en dehors de la réserve. Les tribus peuvent aussi développées des WQS qui supportent leurs propres valeurs tribales, y compris les usages cérémonieux et culturels des eaux autochtones. Cependant le potentiel de réussite des stratégies tribales d’auto-détermination environnementale face aux systèmes réglementaires prépondérants donne lieu à un débat académique. Sur la base d’une synthèse de la littérature actuelle, cet article examine les WQS tribaux comme exemple d’autodétermination environnementale au niveau tribal. L’auteur discute comme les tribus aux États Unis ont insisté pour des standards WQS sous les réglementations TAS, les résultats des programmes, et pourquoi à l’heure actuelle aussi peu de tribus ont établis des WQS. Parce-que la majorité de la littérature sur le sujet est de nature légale, l’auteur se concentre sur les impacts politiques et légaux des WQS et analyse les opportunités et contraintes spécifiques pour les participants au programme. L’auteur considère également comment certaines tribus utilisent les WQS stratégiquement dans le but de construire un « troisième espace » qui consiste à travailler simultanément à l’intérieur et à l’extérieur des structures gouvernementales dominantes afin de faire avancer la souveraineté tribale (Bruyneel 2007). A ce stade, davantage de recherche est nécessaire afin de comprendre la diversité des stratégies tribales d’auto-détermination environnementale qui se développent à la fois à travers les cadres réglementaires fédéraux et le droit tribal.

Texte complet: Ici

Réflexions Anishinaabe Nibi (Eau) Rassemblement 2018

Nous avons demandé à  trois assistants de recherche à Décoloniser l’Eau de partager leurs expériences sur le Rassemblement Anishinaabe Nibi.

Gauche à droite: Adèle Therias, Teddy Eyster, Myia Antone, Jacquie Tourand

Jacquie Tourand

La route entre l’aéroport de Winnipeg et le Rassemblement fut ma première impression de Manitoba. Le paysage était tellement différent de la côte Ouest : les arbres étaient d’un vert différent et il n’y avait pas d’humidité dans l’air. Sans les montagnes pour me bercer et me protéger, je me suis sentie trop exposée. Mais le ciel était infini et ce paysage avait sa beauté propre, une beauté à couper souffle.

Le jour avant le début du Rassemblement, j’ai aidé à installer la loge de l’Enseignement. Peter et sa fille menaient les opérations. Ses enfants m’ont rappelé mes propres nièces et neveux chez moi et cela m’a fait penser à quel point nos vies sont véritablement fondées sur les relations que l’on porte les uns aux autres. L’installation de la loge était un travail très physique et il faisait chaud et sec. C’était un véritable cadeau que de boire l’eau fraiche apportée par plusieurs des femmes. Mon moment préféré de cet effort fut lorsque tout le monde a soulevé ensemble la bâche par-dessus la structure. C’était un sentiment formidable que de se sentir faire partie d’un effort plus grand que soi,  de sentir que nous travaillions tous vers un objectif commun.

Pendant le Rassemblement, il y a eu de multiples cérémonies. C’était très fort émotionnellement que d’écouter les gens partager leurs histoires. Il ne m’appartient pas de les divulguer, mais les enseignements que j’en ai tirés resteront en moi pour longtemps. En particulier pendant le Cercle des Femmes, c’était tellement fort d’entendre ces femmes de différents horizons partager aussi librement et ouvertement leurs succès et, peut-être plus important encore, leurs combats. Je voudrais être aussi forte et vulnérable que ces femmes et être ainsi pour d’autres femmes.

Alors que le Rassemblement touchait à sa fin, je me suis rendue avec un groupe aux pétroformes (à l’origine une tradition autochtone, il s’agit de formes et motifs crées par l’Homme en alignant de large roches sur le terrain ouvert) non loin de là. Je marchais avec une aînée de Manitoba et nous avons partagé à quel point il était incroyable que nous soyons là – le résultat de générations de vies vécues dont on ne saura jamais rien. Ça m’a vraiment frappée, en observant les pétroformes, à quel point nos actions d’aujourd’hui se répercutent dans le futur, au-delà de ce que l’on peut véritablement comprendre ou imaginer. On a partagé nos histoires, sur nos vies et nos familles, et un moment intense ensemble lorsque nous avons évoqué les difficultés que nous avons rencontrées. Nous nous sommes serrées dans les bras et nous avons pleuré ensemble. A cet instant, je l’aimais. On a échangé nos contacts et je compte lui rendre visite.

Avant le Rassemblement, je n’avais jamais réellement considéré le rôle de l’eau dans ma vie. Le Rassemblement Anishinaabe Nibi Eau a vraiment remis en question la façon dont j’interagis avec l’eau. Du thé que je bois, aux douches que je prends, jusqu’à l’eau qui nourrit les arbres, les plantes et les animaux autour de moi que j’aime tant. Je me suis rendu compte à quel point l’eau a toujours été là pour moi dans ma vie. Quand j’étais petite fille, j’ai été agressée sexuellement dans une piscine et j’ai développé une peur de l’eau. Cependant, j’ai trouvé du réconfort dans l’acte du bain et la façon et la façon dont l’eau peut rincer toute la négativité, la honte, et les sentiments qui sont restés bloqués sous ma peau et mes cheveux. Même quand j’avais peur ou que j’étais en colère contre l’eau, l’eau était là pour moi. Elle m’a aimée, quand bien même.

Pour moi, le Rassemblement était un temps d’écoute, d’apprentissage et de réflexion. Je suis reconnaissante pour cette expérience et je suis repartie avec un espoir renouvelé. Parmi les apprentissages que j’emporte avec moi : l’importance de partager le savoir, en particulier le savoir culturel et la langue, l’importance d’aller à la rencontre de l’autre, de partager nos combats ensemble sans être embarrassé ou se sentir honteux d’avoir des sensibilités. Et puis surtout, à quel point l’eau prend soin de nous et à quel point il est de notre responsabilité de prendre soin d’elle en retour.

 

Myia Antone

 

 

 

 

 

 

nilh ta ents Myia Antone kwi en sna. tina7 chan Sḵwx̱wú7mesh Stá7mes úxwumixw.

Le retour du Rassemblement Anishinaabe Nibi 2018 m’a donné beaucoup à réfléchir. Mon cœur et mon esprit sont remplis des enseignements que j’ai reçus et des nouveaux amis rencontrés. Il s’agissait de ma première visite au Manitoba, on a passé six jours sur la terre et l’eau du Traité numéro 3 et, j’ai senti dès l‘atterrissage la différence avec la côte Ouest. La terre porte des histoires et une mémoire différente.

Le premier jour se déroula au sein d’un plus petit comité, afin de tout mettre en place et de se préparer pour le Rassemblement. Nous portions nos jupes cérémoniales et un groupe de jeunes s’affairaient à monter des échelles et à attacher des piquets ensemble afin d’aider à préparer la loge Midewiwin (Enseignement). Après ça, chaque jour consistait en une succession de chansons et d’enseignements en l’honneur de l’eau. Le site du Rassemblement était magnifique mais un espace prend sa forme de l’énergie des gens qui s’y rassemblent. C’est quand tout le monde est arrivé que l’espace a été magnifié. Nous commencions chaque jour de la meilleure façon qui soit en nous rassemblant en cérémonie. La loge a cultivé les relations humaines et a créé une véritable communauté.

Un jour, pendant un cercle de soutien de femmes, un orage a éclaté et une pluie diluvienne s’est abattue. La foudre martelait nos corps. Le chaos a ensuivi alors que tout le monde s’est dispersé à la recherche d’un refuge. Je suis tombée sur un Ancien qui venait de trouver un abri pour placer ses offrandes aux oiseaux tonnerre. Elle m’a rappelé d’être reconnaissante pour les bienfaits apportés par ces oiseaux ainsi que pour la force et le pouvoir de Mère Nature. Il avait fait très sec à Manitoba et tout le monde était soulagé par l’arrivée de l’eau. Alors que nous nous empressions de retourner vers nos cabines afin de rester au sec, je me suis sentie nostalgique de mon chez moi. La pluie chaude me parut comme une étreinte de mes ancêtres, me rappelant mes racines sur la côte Ouest et me rappelant que chaque être vivant sur cette terre mérite de l’eau. Nous avons tous besoin de cette eau pour creuser nos racines plus profondément encore, pour grandir et nous épanouir chaque année.

Je suis reconnaissante pour cette opportunité qui m’a été donnée de croiser le chemin d’individus qui parlent à mon cœur et nourrissent mon être. Je suis reconnaissante qu’il y a des espaces comme celui  de ce Rassemblement qui célèbrent les protecteurs de l’eau et élèvent la communauté pour en faire un espace de résistance et de résurgence. De la façon la plus douce qui soit, j’ai ressenti la présence de mes ancêtres, ainsi que la présence des ancêtres de cette terre et de ces eaux se joindre à nous en cérémonie.

J’ai quitté Manitoba en me demandant quelle serait ma responsabilité en tant que témoin de ces histoires qui m’ont été confiées, et en me demandant comment mes actions reflèteront ces histoires. Je suis rentrée chez moi l’esprit et le corps nourris. Je me sens plus forte pour continuer mon combat pour protéger mes terres et eaux traditionnelles pour mes enfants et petits-enfants.

Je veux prendre un moment et lever mes mains avec beaucoup d’amour et de respect pour mes relations qui ont formé cet espace tellement important et qui m’ont offert cette opportunité d’y contribuer.

Je pense constamment aux mots de l’Ancien Peter Atkinson : « l’eau ne cessera jamais de couler, lorsqu’on la porte ». Cela souligne notre responsabilité en tant que protecteur de l’eau de soutenir l’eau, parce-que l’eau est synonyme de vie. Nous sommes ainsi rappelés que la Création est dynamique. Elle continue, bien après nous. Mais cela est possible seulement si nous la protégeons. C’est tellement important car, lorsqu’on prend soin de Mère Nature, Mère Nature prend soin de nous.

chen wa kwélulusnitúmi ti txwna7na.

Adèle Therias

Rassemblement Anishinaabe Nibi Eau : Témoigner de la Résilience

En tant qu’assistante de recherche pour le projet Décoloniser l’Eau, j’ai eu la chance d’assister au Rassemblement Anishinaabe autour de l’eau ce Mai dernier. Ayant reçu une éducation résolument urbaine et globale, j’ai été touchée de rencontrer des gens et écouter des histoires ancrées dans des relations véritables à la terre et tout un chacun. J’ai été immergée dans une autre culture et je suis reconnaissante d’avoir pris part aux cérémonies Anishinaabe et d’avoir appris certains principes des lois Anishinaabes. Étant descendante de colons Européens, j’ai eu l’impression de sentir mes ancêtres s’incliner alors que je témoignais d’une puissante résilience Autochtone face au passé et au présent colonial du Canada. Puisque mes recherches en dehors du projet Décoloniser l’Eau portent sur la résilience communautaire, ce fut enrichissant d’observer des exemples du formidable travail en cours au sein des communautés Autochtones. Lorsque nous sommes revenus du voyage, j’ai lutté  contre la surcharge sensorielle soudaine et le changement de rythme de la vie citadine, mais je m’efforce à porter mon apprentissage en moi et à l’appliquer dans mon travail à l’avenir.

Le Rassemblement m’a rappelé une réunion familiale pendant mon enfance : ce fut une réunion   multi-générationnelle, où on a partagé de la bonne nourriture et, bien que certaines personnes ne se connaissaient pas, tout le monde appartenait. J’ai été frappée par la priorité et le respect envers les Anciens, que l’on écoutait attentivement et auxquels on servait la nourriture en premier. Pendant la cérémonie, plusieurs nourrissons et enfants rampaient et se promenaient, toujours curieux et encouragés dans leur exploration. Il était évident que chacun avait une responsabilité au sein du Rassemblement, qu’il s’agisse de construire la loge cérémoniale, de garder un œil sur le feu pendant la nuit, de mener les formations ou de servir la nourriture. Les hommes et les femmes étaient célébrés pour leurs rôles, et cela m’a évoqué à quel point des intentions positives et des responsabilités partagées peuvent créer une communauté saine, qu’il s’agisse d’une famille ou d’un village.

Anishinabee Nibi a rassemblé des individus de différents horizons, autochtones et non-autochtones, à différents stades d’apprentissage sur leur culture et leur identité. On a partagé un espace, des mots et des expériences sacrées qui m’ont aidée à mieux comprendre comment devenir une alliée respectueuse. J’ai découvert la force qui peut provenir du spirituel, j’ai découvert l’appartenance qui est cultivée à travers la cérémonie, et le combat qui se déroule à chaque fois que quelqu’un se reconnecte avec sa langue. J’ai découvert des formes de résurgence qui m’ont surprise et m’ont laissée admirative: Kacey Adams nous a appris à faire des bols avec l’argile collectée du lit de la rivière, et comment conduire une cérémonie de cuisson. Elle a expliqué que la tradition de l’argile a été perdue à travers les générations passées mais que celle-ci avait été retracée et recrée avec l’aide d’archives et d’expérimentations archéologiques. J’ai découvert le pouvoir de la résurgence qui est ancré dans l’amour, et j‘ai appris un profond respect pour la terre et l’eau.

Le Rassemblement m’a offert une nouvelle perspective sur la connaissance. Fred a expliqué que le savoir est intérieur tandis que l’apprentissage suppose simplement gagner en compréhension sur ce que l’on sait déjà. Cette analyse met en avant l’influence de ceux qui sont venus avant nous sur ce que l’on expérimente aujourd’hui, ainsi le processus de partage du savoir devient aussi important que le savoir lui-même. Par conséquent, j’ai commencé à faire appel aux histoires de mes propres ancêtres afin de mieux comprendre l’histoire et l’héritage de ma famille. J’ai aussi appris beaucoup sur le savoir porté par chaque goutte d’eau, et par l’eau qui compose la majorité de notre corps. Le dernier jour du Rassemblement, Laura a appris à la jeunesse une chanson à porter en nous pour l’avenir. Elle a souligné l’importance de véritablement connaitre les choses, au lieu de simplement les écrire et les oublier. Eh bien, je n’oublierais jamais l’expérience d’avoir été assise à ses côtés, répétant cette chanson. La répétant jusqu’à ce que les mots soient inscrits dans nos esprits. La répétant jusqu’à ce que nos cœurs adaptent leurs battements aux rythmes des tambours.

 

Changer le Cadre de Gouvernance Canadienne dans le secteur de l’Eau à travers des Méthodes de Recherches Autochtones : Reconnaître le Passé avec un Regard vers le Futur.

Changer le Cadre de Gouvernance Canadienne dans le secteur de l’Eau à travers des Méthodes de Recherches Autochtones : Reconnaître le Passé avec un Regard vers le Futur.

Par Rachel Arsenault, Sibyl Diver, Deborah McGregor, Aaron Witham and Carrie Bourassa

Journal: Water

Publié le 10 Janvier 2018

Texte complet: Ici

Abrégé : Les communautés Autochtones au Canada sont affectées de manière disproportionnée par la mauvaise qualité de l’eau. Par exemple, de nombreuses communautés vivent depuis plusieurs décennies sous un ordre de faire bouillir et les interventions et initiatives publiques à ce jour ont eu un impact limité. Cet article examine l’importance d’utiliser des méthodologies de recherches autochtones afin de répondre aux problèmes de qualité de l’eau affectant les Premières Nations. Ce travail fait partie intégrante d’un projet plus large qui applique des méthodologies décoloniales à la gouvernance autochtone dans le secteur de l’eau. Parce-que les épistémologies autochtones sont au cœur des méthodes de recherches autochtones, notre analyse commence par présenter le cadre théorique qui informe les relations autochtones à l’eau. Nous considérons ensuite trois études de cas d’initiatives innovantes de recherche Autochtone qui démontre la façon dont la recherche sur l’eau et les initiatives publiques peuvent adopter une approche plus autochtone en pratique. Ces études de cas comprennent (1) un laboratoire Autochtone et communautaire de recherche sur la santé qui poursuit une philosophie à double regard (Saskatchewan) ; (2) une recherche de politique publique sur l’eau qui utilise des cadres de partage de connaissance collective afin de faciliter des conversations respectueuses et non-extractives avec les Anciens et ceux qui portent le savoir traditionnel (Ontario) ; et (3) une initiative de recherche communautaire de long terme pour la décolonisation de l’eau qui pratique des méthodologies d’apprentissage mutuel (Colombie Britannique, Alberta).

En établissant de nouveaux cadres de gouvernance dans le secteur de l’eau, informés par des méthodes de recherches Autochtones, les auteurs espèrent promouvoir des solutions innovantes et flexibles, ancrées dans des épistémologies Autochtones.

Mots clés : méthodologies de recherche Autochtones, gouvernance dans le secteur de l’eau, systèmes de savoir Autochtone, relations Autochtones à l’eau, recherche communautaire, apprentissage mutuel, justice environnementale, ordre de faire bouillir l’eau, Premières Nations, Canada.

 

 

 

Dechinta Cours d’Été 2017

Teddy Eyster

Master UBC Programme en Ressources, Environnement, et Soutenabilité

Arrivée au Lac Blanchford, Terre Dene

Après une journée de voyage de Vancouver à Yellowknife, je suis arrivé à la loge du Lac Blanchford par hydravion. Il n’y a pas de route d’été jusqu’au lac ; fournitures, équipements et personnes doivent arriver et repartir via un vol de 25 minute vers Yellowknife. Survoler cette terre depuis Yellowknife m’a donné un aperçu de ce à quoi la terre ressemble ici, au cœur des prairies estivales luxuriantes, parmi la multitude de lacs entourés de végétation et les épinettes qui recouvrent des petites collines aux dômes de granites exposés. Vu du ciel, le paysage est une juxtaposition d’eau et de roche. Ça m’a rappelé un paysage montagneux auxquels on aurait remplacé les pics par des lacs.

A l’arrivé, j’ai rencontré les autres étudiants – étudiants de UBC dans le programme Premières Nations et Peuples Autochtones, éducateurs issus de Californie, de l’est Canadien et de Harvard. On a suivi un bref tour d’orientation de la loge avant de s’asseoir pour partager un dîner copieux préparé par l’équipe de la loge. Après le dîner, nous nous sommes rassemblés sur la crête autour d’un feu pour remercier la terre et tous ceux qui sont venus avant nous. Nous nous sommes présentés les uns aux autres, certains dans leurs propres langues autochtones, et avons parlé de nos souhaits pour la semaine à venir. Pour moi, en tant que descendant de colons américains, mon souhait était en partie de trouver ma place au sein de cet espace et sur la terre de Yellowknives Dene. Alors que la soirée s’étirait, le soleil s’élevait toujours haut dans le ciel ce qui donnait au temps un sens différent et renforçait mon sentiment d’être dans un endroit nouveau.

Notre premier jour à Dechinta était bien occupé autour d’activités pour organiser le campement et commencer notre transition pour vivre en terre Dene. Ensemble, nous avons installé une tente en toile comme salle de classe, collectés des branches d’épinettes que nous avons tissées afin de faire un sol, suspendues des peaux d’orignacs sur des portants, et installé un filet maillant pour attraper du poisson. L’atmosphère était animée et l’humeur coopérative malgré la nuée occasionnelle de moustiques qui tournait autour de nos chevilles. En grandissant, j’avais entendu des gens parler de « vivre de la terre », c’est-à-dire subvenir à ses propres besoins depuis des espaces naturels. Je pense que ce n’est pas banal que les gens à Dechinta parlent de vivre et apprendre « sur la terre » pour décrire ce qui, en un sens, nécessite une expertise similaire d’auto-suffisance.  L’expression vivre  « sur la terre » reconnaît aussi l’importance de la terre elle-même et déplace ainsi l’accent de l’individu qui prend, vers la terre qui donne.

Plus tard dans la journée, on s’est regroupés à l’ombre de la tente, supportée par les branches d’épinettes, et avons parlé de l’importance du contexte. J’ai appris que la façon Anishinaabe de raconter des histoires accorde moins d’importance aux mots ou à l’histoire qu’au contexte dans lequel l’histoire est racontée; ce concept du contexte semble parcourir tout ce que j’ai appris de la culture Dene. Le sens d’une action, d’une personne ou d’un évènement dépend des relations qui l’entourent. Rien ne s’échappe dans le vide et la terre et l’eau sont la base sur laquelle tout repose. Par exemple, lorsque les Dene décrivent la taille d’un poisson ou d’un objet celui-ci est montré avec une main sur l’autre bras (et donc relatif à la personne), plutôt que de la façon occidentale qui consiste à désigner un espace vide entre ses mains. L’idée se reflète dans la terre elle-même. Un des instructeurs, Leanne Betasamosake Simpson, a commenté que « la terre est relationnelle ». Cela va à l’encontre de plusieurs concepts occidentaux relié à la propriété, au transfert et à la valeur terrestre. Ces mots résonnent juste tout particulièrement sur la terre Dene puisque le concept du mot Dene lui-même peut être traduit en français comme « le peuple qui coule de la terre ».[1]

PROTOTYPE DE L’Enregistreur de donnée en cours de développement qui analyse les anomalies de températures et de conductivité électrique qui découle de contamination reliée a l’industrie extractive. L’APPAREIL ENREGISTRE les valeurs et les locations gps sur une carte mémoire qui peut être évaluée afin de tester des zones sensibles à tester.

 

 

La surveillance de l’eau selon le savoir occidental et le savoir traditionnel

Ma visite à Déchinta avait en partie pour objectif de tester l’enregistreur de données que nous sommes en train de développer afin d’analyser la contamination de l’eau par les industries extractives. Le deuxième jour, en chemin pour vérifier les filets à mailles, on a poussé deux capteurs derrière la yole en aluminium. Être dehors sur l’eau était exaltant et m’a permis de détecter d’éventuels  problèmes avec le poids du capteur, de vérifier la vitesse du bateau ainsi que d’identifier et détecter des erreurs avec le programme du capteur.

J’ai eu la chance de recevoir l’aide d’un des enfants de l’instructeur. Il s’était assuré que notre embarcation reste stable pendant le voyage cahoteux en bateau.

Un jour, au retour de la pêche, j’ai demandé à un des instructeurs : « pourquoi sommes-nous allés aussi loin à travers le lac pour installer les filets ? ». Il a répondu que cet espace était plus profond que les autres parties du lac et un bon endroit pour la truite. Quand j’ai voulu connaître la source de cette information, il m’a répondu « Oh, le savoir local »

En regardant les résultats du capteur, j’ai constaté que la partie du lac autour des filets était plus froide que le reste du lac. Cela corrobore l’information que le lac est plus profond à ce niveau, étant donné que les eaux profondes prennent plus de temps à se réchauffer que les eaux peu profondes. Cela n’est pas une façon de valider le savoir local, le savoir local existe indépendamment – mais toujours est-il qu’il s’agit là d’un exemple important qui souligne à quel point le savoir local peut guider l’interprétation de données. Les données n’ont pas de sens propre, sans contexte, sans comparaison, une température, un nombre n’est pas plus qu’une abstraction. Alors que la science occidentale cherche à interpréter les données en commençant par les chiffres, lorsqu’on commence par les dires et le savoir des locaux, une histoire beaucoup plus riche se développe.

 

une capture d’écran de l’interface utilisateur. les locations sont représentées sur un plan, accompagnées des valeurs réciproques en termes de température et de conductivité électrique.

 

 

 

 

Art autochtone et les écoles publiques

Le programme de cours à Déchinta est établi de façon à promouvoir une éducation à la fois axée sur la terre, avec des compétences autochtones, et académique, à travers des cours et des discussions. Le troisième matin, nous avons eu un cours sur l’art contemporain autochtone. Leanne Betesamosake Simpson a partagé avec nous le processus créatif qui a porté sa dernière collaboration poétique et musicale avec des artistes et producteurs f(l)ight.  J’ai été tout particulièrement impressionné par son morceau « le plus Vieux Arbre sur la Terre » dans lequel elle explore sa relation avec le plus vieil érable à sucre, un arbre sur son territoire, en particulier le lien entre cet arbre et nos autres discussions au sujet des relations entre les hommes et la terre. Quand j’étais en cours d’anglais au lycée, le professeur nous avait demandé d’écrire une rédaction sur une relation significative et d’expliquer comment celle- ci nous avait affecté. J’ai choisi d’écrire sur un mélèze dans notre arrière-cour sous lequel je m’asseyais le matin avant les cours. Plusieurs jours après avoir soumis ma rédaction, mon professeur m’a informé que je devais réécrire ma rédaction sur un sujet différent. Elle m’a expliqué que je ne pouvais pas avoir une relation significative avec un arbre car l’arbre ne pouvait pas répondre. Je n’avais jamais vraiment considéré à quel point les écoles publiques contribuent à isoler les hommes de la terre. Mais, à présent, je reconnais bien cette facette de la culture pédagogique occidentale qui met les gens dans des cases et ne permet pas des relations significatives avec le monde naturel.

NOUS RôTISSONS LE POISSON SEC SUR LE FEU.

 

 

 

 

La mine gigantesque et la contamination au trioxyde de d’arsenic à Yellowknife

En parallèle à notre apprentissage sur les questions spécifiquement autochtones, nous avons aussi appris beaucoup sur les questions de nature environnementales, notamment concernant l’extraction des ressources à travers le documentaire « Ombre d’un Géant ». La ville de Yellowknife a été construite autour de l’extraction minérale. En 1948, la mine gigantesque a commencé des opérations pour exploiter du minerai d’or. Ce processus d’exploitation a produit des quantités significatives de trioxyde d’arsenic toxique. Pendant les trois premières années, ce cancérigène sans réglementation seuil s’est répandu à travers les tas de fumée et s’est déposé à travers toute la région. Après l’installation d’épurateurs, la mine a commencé à stocker les déchets de d’arsenic en sous-sol dans des soutes inadaptés au besoin.

UN PANNEAU D’avertissement sur la présence de trioxyde de d’arsenic près d’un petit lac à la sortie de yellowknife

 

 

 

 

 

 

Sur mon chemin du retour vers Vancouver je me suis arrêté à Yellowknife et j’ai vu un nouveau panneau d’avertissement sur la toxicité d’un lac environnant « Eviter de récolter des baies, champignons, et plantes comestibles sur ce chemin ». C’est ainsi que l’avidité de quelques-uns affecte le bien-être de tous. Depuis son ouverture, la mine gigantesque a généré de la richesse pour les investisseurs mais aussi du poison et des cancers pour les habitants – les obligeant à choisir entre leurs traditions et leur santé. Aujourd’hui, il n’y a plus de réelle solution et il ne reste plus personne pour être désigné responsable de l’imprudence du passé. Cependant aujourd’hui, même en ayant conscience de la toxicité de nos actions, certains continuent de polluer l’environnement. Sur un petit affleurement au-dessus de Yellowknife, j’ai remarqué un panache mantellique s’élever dans le ciel. Que faut-il pour que l’on apprenne de nos erreurs ?

Découvrir l’Histoire Canadienne et ma place dans cette Histoire

Je suis un nouveau venu au Canada. J’ai déménagé à Vancouver en automne 2016 pour commencer un programme de Master en sciences environnementales. En grandissant, j’ai très peu appris de l’histoire des Amérindiens aux États-Unis et encore moins sur les Premières Nations au Canada. Mon temps à Déchinta a apporté un contexte historique au moment présent – parler avec un Ancien, un survivant de pensionnat qui fut arraché de force à sa terre, écouter les histoires d’un camarade dont la famille a été relocalisée par le gouvernement fédéral sous des fausses promesses, et constater les résultats de politiques canadiennes visant à encourager l’extraction de ressources. J’ai appris à mieux  comprendre le pays dans lequel je vis. J’ai conscience que reconnaître les droits territoriaux des Musqueam à UBC est bien plus qu’une formalité. Et, j’espère que je commence à apprendre comment m’engager dans des dialogues respectueux avec les gens, qu’ils soient de racine autochtones ou non autochtones.

Tannage de peaux d’orignacs avec des foies de poissons. Quand j’étais jeune, j’étais fasciné par le savoir -faire autochtone. J’ai appris à tanner des peaux de cerfs à travers des livres et des enthousiastes de « compétences de survie »

Quand l’approche académique, l’environnement et les compétences axées sur la terre se retrouvent

 

Quand j’y réfléchis, j’ai trouvé quelque chose de surprenant à l’école de terrain de Déchinta. Trois différentes facettes de ma vie se sont retrouvées pour la première fois : mon intérêt pour la surveillance de l’eau et l’hydrologie, mon intérêt éthique pour la protection environnementale, et ma fascination personnelle pour les compétences axées sur la terre et le savoir traditionnel. J’espère que l’expérience que j’ai vécue à Déchinta sera la première d’une longue série qui viendra enrichir mes passions. Par ailleurs, je porte l’espoir que cette expérience fournisse une plateforme pour le bien, et un espace pour moi où je peux approfondir mes connaissances de l’histoire d’un peuple et d’une terre, tout en découvrant comment être un meilleur gardien des terres que j’habite.

[1] Cours sur Dene Chanie, ou The Sacred Path, par Siku Allooloo, 1er Juillet 2017