Teddy Eyster
Master UBC Programme en Ressources, Environnement, et Soutenabilité
Arrivée au Lac Blanchford, Terre Dene
Après une journée de voyage de Vancouver à Yellowknife, je suis arrivé à la loge du Lac Blanchford par hydravion. Il n’y a pas de route d’été jusqu’au lac ; fournitures, équipements et personnes doivent arriver et repartir via un vol de 25 minute vers Yellowknife. Survoler cette terre depuis Yellowknife m’a donné un aperçu de ce à quoi la terre ressemble ici, au cœur des prairies estivales luxuriantes, parmi la multitude de lacs entourés de végétation et les épinettes qui recouvrent des petites collines aux dômes de granites exposés. Vu du ciel, le paysage est une juxtaposition d’eau et de roche. Ça m’a rappelé un paysage montagneux auxquels on aurait remplacé les pics par des lacs.
A l’arrivé, j’ai rencontré les autres étudiants – étudiants de UBC dans le programme Premières Nations et Peuples Autochtones, éducateurs issus de Californie, de l’est Canadien et de Harvard. On a suivi un bref tour d’orientation de la loge avant de s’asseoir pour partager un dîner copieux préparé par l’équipe de la loge. Après le dîner, nous nous sommes rassemblés sur la crête autour d’un feu pour remercier la terre et tous ceux qui sont venus avant nous. Nous nous sommes présentés les uns aux autres, certains dans leurs propres langues autochtones, et avons parlé de nos souhaits pour la semaine à venir. Pour moi, en tant que descendant de colons américains, mon souhait était en partie de trouver ma place au sein de cet espace et sur la terre de Yellowknives Dene. Alors que la soirée s’étirait, le soleil s’élevait toujours haut dans le ciel ce qui donnait au temps un sens différent et renforçait mon sentiment d’être dans un endroit nouveau.
Notre premier jour à Dechinta était bien occupé autour d’activités pour organiser le campement et commencer notre transition pour vivre en terre Dene. Ensemble, nous avons installé une tente en toile comme salle de classe, collectés des branches d’épinettes que nous avons tissées afin de faire un sol, suspendues des peaux d’orignacs sur des portants, et installé un filet maillant pour attraper du poisson. L’atmosphère était animée et l’humeur coopérative malgré la nuée occasionnelle de moustiques qui tournait autour de nos chevilles. En grandissant, j’avais entendu des gens parler de « vivre de la terre », c’est-à-dire subvenir à ses propres besoins depuis des espaces naturels. Je pense que ce n’est pas banal que les gens à Dechinta parlent de vivre et apprendre « sur la terre » pour décrire ce qui, en un sens, nécessite une expertise similaire d’auto-suffisance. L’expression vivre « sur la terre » reconnaît aussi l’importance de la terre elle-même et déplace ainsi l’accent de l’individu qui prend, vers la terre qui donne.
Plus tard dans la journée, on s’est regroupés à l’ombre de la tente, supportée par les branches d’épinettes, et avons parlé de l’importance du contexte. J’ai appris que la façon Anishinaabe de raconter des histoires accorde moins d’importance aux mots ou à l’histoire qu’au contexte dans lequel l’histoire est racontée; ce concept du contexte semble parcourir tout ce que j’ai appris de la culture Dene. Le sens d’une action, d’une personne ou d’un évènement dépend des relations qui l’entourent. Rien ne s’échappe dans le vide et la terre et l’eau sont la base sur laquelle tout repose. Par exemple, lorsque les Dene décrivent la taille d’un poisson ou d’un objet celui-ci est montré avec une main sur l’autre bras (et donc relatif à la personne), plutôt que de la façon occidentale qui consiste à désigner un espace vide entre ses mains. L’idée se reflète dans la terre elle-même. Un des instructeurs, Leanne Betasamosake Simpson, a commenté que « la terre est relationnelle ». Cela va à l’encontre de plusieurs concepts occidentaux relié à la propriété, au transfert et à la valeur terrestre. Ces mots résonnent juste tout particulièrement sur la terre Dene puisque le concept du mot Dene lui-même peut être traduit en français comme « le peuple qui coule de la terre ».[1]
PROTOTYPE DE L’Enregistreur de donnée en cours de développement qui analyse les anomalies de températures et de conductivité électrique qui découle de contamination reliée a l’industrie extractive. L’APPAREIL ENREGISTRE les valeurs et les locations gps sur une carte mémoire qui peut être évaluée afin de tester des zones sensibles à tester.
La surveillance de l’eau selon le savoir occidental et le savoir traditionnel
Ma visite à Déchinta avait en partie pour objectif de tester l’enregistreur de données que nous sommes en train de développer afin d’analyser la contamination de l’eau par les industries extractives. Le deuxième jour, en chemin pour vérifier les filets à mailles, on a poussé deux capteurs derrière la yole en aluminium. Être dehors sur l’eau était exaltant et m’a permis de détecter d’éventuels problèmes avec le poids du capteur, de vérifier la vitesse du bateau ainsi que d’identifier et détecter des erreurs avec le programme du capteur.
J’ai eu la chance de recevoir l’aide d’un des enfants de l’instructeur. Il s’était assuré que notre embarcation reste stable pendant le voyage cahoteux en bateau.
Un jour, au retour de la pêche, j’ai demandé à un des instructeurs : « pourquoi sommes-nous allés aussi loin à travers le lac pour installer les filets ? ». Il a répondu que cet espace était plus profond que les autres parties du lac et un bon endroit pour la truite. Quand j’ai voulu connaître la source de cette information, il m’a répondu « Oh, le savoir local »
En regardant les résultats du capteur, j’ai constaté que la partie du lac autour des filets était plus froide que le reste du lac. Cela corrobore l’information que le lac est plus profond à ce niveau, étant donné que les eaux profondes prennent plus de temps à se réchauffer que les eaux peu profondes. Cela n’est pas une façon de valider le savoir local, le savoir local existe indépendamment – mais toujours est-il qu’il s’agit là d’un exemple important qui souligne à quel point le savoir local peut guider l’interprétation de données. Les données n’ont pas de sens propre, sans contexte, sans comparaison, une température, un nombre n’est pas plus qu’une abstraction. Alors que la science occidentale cherche à interpréter les données en commençant par les chiffres, lorsqu’on commence par les dires et le savoir des locaux, une histoire beaucoup plus riche se développe.
une capture d’écran de l’interface utilisateur. les locations sont représentées sur un plan, accompagnées des valeurs réciproques en termes de température et de conductivité électrique.
Art autochtone et les écoles publiques
Le programme de cours à Déchinta est établi de façon à promouvoir une éducation à la fois axée sur la terre, avec des compétences autochtones, et académique, à travers des cours et des discussions. Le troisième matin, nous avons eu un cours sur l’art contemporain autochtone. Leanne Betesamosake Simpson a partagé avec nous le processus créatif qui a porté sa dernière collaboration poétique et musicale avec des artistes et producteurs f(l)ight. J’ai été tout particulièrement impressionné par son morceau « le plus Vieux Arbre sur la Terre » dans lequel elle explore sa relation avec le plus vieil érable à sucre, un arbre sur son territoire, en particulier le lien entre cet arbre et nos autres discussions au sujet des relations entre les hommes et la terre. Quand j’étais en cours d’anglais au lycée, le professeur nous avait demandé d’écrire une rédaction sur une relation significative et d’expliquer comment celle- ci nous avait affecté. J’ai choisi d’écrire sur un mélèze dans notre arrière-cour sous lequel je m’asseyais le matin avant les cours. Plusieurs jours après avoir soumis ma rédaction, mon professeur m’a informé que je devais réécrire ma rédaction sur un sujet différent. Elle m’a expliqué que je ne pouvais pas avoir une relation significative avec un arbre car l’arbre ne pouvait pas répondre. Je n’avais jamais vraiment considéré à quel point les écoles publiques contribuent à isoler les hommes de la terre. Mais, à présent, je reconnais bien cette facette de la culture pédagogique occidentale qui met les gens dans des cases et ne permet pas des relations significatives avec le monde naturel.
NOUS RôTISSONS LE POISSON SEC SUR LE FEU.
La mine gigantesque et la contamination au trioxyde de d’arsenic à Yellowknife
En parallèle à notre apprentissage sur les questions spécifiquement autochtones, nous avons aussi appris beaucoup sur les questions de nature environnementales, notamment concernant l’extraction des ressources à travers le documentaire « Ombre d’un Géant ». La ville de Yellowknife a été construite autour de l’extraction minérale. En 1948, la mine gigantesque a commencé des opérations pour exploiter du minerai d’or. Ce processus d’exploitation a produit des quantités significatives de trioxyde d’arsenic toxique. Pendant les trois premières années, ce cancérigène sans réglementation seuil s’est répandu à travers les tas de fumée et s’est déposé à travers toute la région. Après l’installation d’épurateurs, la mine a commencé à stocker les déchets de d’arsenic en sous-sol dans des soutes inadaptés au besoin.
UN PANNEAU D’avertissement sur la présence de trioxyde de d’arsenic près d’un petit lac à la sortie de yellowknife
Sur mon chemin du retour vers Vancouver je me suis arrêté à Yellowknife et j’ai vu un nouveau panneau d’avertissement sur la toxicité d’un lac environnant « Eviter de récolter des baies, champignons, et plantes comestibles sur ce chemin ». C’est ainsi que l’avidité de quelques-uns affecte le bien-être de tous. Depuis son ouverture, la mine gigantesque a généré de la richesse pour les investisseurs mais aussi du poison et des cancers pour les habitants – les obligeant à choisir entre leurs traditions et leur santé. Aujourd’hui, il n’y a plus de réelle solution et il ne reste plus personne pour être désigné responsable de l’imprudence du passé. Cependant aujourd’hui, même en ayant conscience de la toxicité de nos actions, certains continuent de polluer l’environnement. Sur un petit affleurement au-dessus de Yellowknife, j’ai remarqué un panache mantellique s’élever dans le ciel. Que faut-il pour que l’on apprenne de nos erreurs ?
Découvrir l’Histoire Canadienne et ma place dans cette Histoire
Je suis un nouveau venu au Canada. J’ai déménagé à Vancouver en automne 2016 pour commencer un programme de Master en sciences environnementales. En grandissant, j’ai très peu appris de l’histoire des Amérindiens aux États-Unis et encore moins sur les Premières Nations au Canada. Mon temps à Déchinta a apporté un contexte historique au moment présent – parler avec un Ancien, un survivant de pensionnat qui fut arraché de force à sa terre, écouter les histoires d’un camarade dont la famille a été relocalisée par le gouvernement fédéral sous des fausses promesses, et constater les résultats de politiques canadiennes visant à encourager l’extraction de ressources. J’ai appris à mieux comprendre le pays dans lequel je vis. J’ai conscience que reconnaître les droits territoriaux des Musqueam à UBC est bien plus qu’une formalité. Et, j’espère que je commence à apprendre comment m’engager dans des dialogues respectueux avec les gens, qu’ils soient de racine autochtones ou non autochtones.
Tannage de peaux d’orignacs avec des foies de poissons. Quand j’étais jeune, j’étais fasciné par le savoir -faire autochtone. J’ai appris à tanner des peaux de cerfs à travers des livres et des enthousiastes de « compétences de survie »
Quand l’approche académique, l’environnement et les compétences axées sur la terre se retrouvent
Quand j’y réfléchis, j’ai trouvé quelque chose de surprenant à l’école de terrain de Déchinta. Trois différentes facettes de ma vie se sont retrouvées pour la première fois : mon intérêt pour la surveillance de l’eau et l’hydrologie, mon intérêt éthique pour la protection environnementale, et ma fascination personnelle pour les compétences axées sur la terre et le savoir traditionnel. J’espère que l’expérience que j’ai vécue à Déchinta sera la première d’une longue série qui viendra enrichir mes passions. Par ailleurs, je porte l’espoir que cette expérience fournisse une plateforme pour le bien, et un espace pour moi où je peux approfondir mes connaissances de l’histoire d’un peuple et d’une terre, tout en découvrant comment être un meilleur gardien des terres que j’habite.
[1] Cours sur Dene Chanie, ou The Sacred Path, par Siku Allooloo, 1er Juillet 2017